Quand lÉtat doit compter sur les dealers pour siffler la fin des émeutes Songkrah
« Mais les gamins, ils écoutent qui, alors ? » Dans la nuit du 3 au 4 juillet, alors qu’il se rend au chevet des forces de l’ordre mobilisées depuis une semaine pour ramener le calme en France, Emmanuel Macron s’interroge naïvement.
Les policiers sont-ils craints par les émeutiers ? Les parents des jeunes délinquants ont-ils encore de l’autorité sur les enfants ? La réponse des fonctionnaires de police présents ce jour est sans appel.
« [Ils n’écoutent que] les dealers, monsieur le Président », lui apprend l’un des agents. « C’est d’ailleurs eux qui commencent à leur demander de se calmer depuis deux jours, parce que tout ce bazar, c’est en train de donner du tort à leur business. Ça fait une semaine que le trafic de stupéfiants ne tourne pas », détaille-t-il.
La narcotrafic, remède aux émeutes
Déjà, en 2005, les quartiers gangrenés par le trafic de drogue s’étaient tenus à l’écart des violences urbaines. Marseille en tête, et notamment ses quartiers nord, n’avait participé que de façon anecdotique aux émeutes. Cette année encore, si des pillages et dégradations ont eu lieu dans le centre-ville de la cité phocéenne, les arrondissements dits « sensibles » n’ont connu que quelques irruptions de violence au cours de cette dernière semaine. Un bilan que confirme auprès du Figaro une source policière bien informée. Selon lui, « Marseille s’est toujours tenue à l’écart des émeutes comme du terrorisme ». Inutile de chercher bien loin les causes de ce particularisme. Le trafic de drogue, omnipotent dans certains quartiers de la préfecture des Bouches-du-Rhône, nécessite du calme.
« Ce sont des commerçants, certes illégaux, mais des commerçants quand même. Et comme les commerçants, ils n’aiment pas voir leur vitrine cassée », explique Frédéric Ploquin, spécialiste du grand banditisme et auteur des Narcos français brisent l’omerta (Albin Michel), à nos confrères de Lyon Capitale. Autrement dit, les émeutes viennent perturber le bon fonctionnement du narcotrafic. D’une part, les petites mains, si utiles pour tenir les points de vente, rameuter les clients et surveiller les quartiers, se dispersent et ne travaillent plus quand des violences urbaines éclatent. D’autre part, une forte présence policière dans ces quartiers dissuade les clients de venir s’approvisionner et gêne donc le trafic. Résultat : le chiffre d’affaires diminue drastiquement, les stocks s’accumulent et les dealers perdent la fidélité de leur clientèle. Pour enrayer les pertes, les narcotrafiquants ont donc diffusé des appels au calme dans leurs quartiers et sur les réseaux sociaux. « Ils leur ont dit maintenant ça suffit, c’est pas bon pour le business », explique, sur TikTok, un jeune Marseillais. Un mot d’ordre reçu par les jeunes des quartiers qui, à défaut de craindre les forces de l’ordre, obéissent au doigt et à l’œil aux caïds de la drogue. En revanche, dans les cités où le trafic est moins structuré, comme à Nanterre où les chefs de gang sont tombés ces dernières années, les violences ont explosé, faute d’autorité pour tenir les rangs.
Les dealers contre l’État
Plus personne n’est dupe de ce contre-pouvoir qui s’installe progressivement dans de nombreux quartiers de France. Les policiers, en première ligne, malgré leurs efforts, reconnaissent eux-mêmes l’influence des narcotrafiquants.
Rudy Manna : «Dans les quartiers sensibles, les trafiquants ont sifflé la fin du match. [...] Les gérant de ces points de vente leur ont dit que s'ils créaient des émeutes, ça va amener de la police et ils ne pourront plus travailler.» #LaMatinale pic.twitter.com/5DSrsO4Jn8
— CNEWS (@CNEWS) July 5, 2023
David Lisnard, maire Les Républicains de Cannes, l'admet également dans La Voix du Nord : « Si le calme revient, c’est bien sûr grâce au formidable travail des forces de l’ordre, mais aussi parce que des dealers ont sifflé la fin de la récré. C’est révélateur d’un ordre mafieux. Des quartiers entiers sous sont leur autorité. » Seul Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, invité sur le plateau de LCI, refuse de confirmer cette thèse. Évidemment, d’autres facteurs - diminution des stocks de munitions, essoufflement, début de vacances, pression des forces de l’ordre… - permettent également de comprendre le progressif retour au calme. Il n’en demeure pas moins que le narcotrafic contrôle désormais de nombreux territoires.
L’État serait-il devenu totalement impuissant qu’il doive compter sur le renfort des dealers pour rétablir l’ordre sur son territoire ? Quand l’incendie des émeutes sera éteint, il serait temps de prendre au sérieux ce puissant contre-pouvoir.
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