√Les médias occidentaux seraient-ils en train de devenir favorables à la Chine ? ~ Songkrah
Par Arnaud Bertrand – Le 25 octobre 2025 – Source Blog de l’auteur
 Quelque chose de remarquable est en train de se passer : peu à peu, les médias occidentaux semblent abandonner leurs tristement célèbres préjugés éditoriaux sur la « vilaine Chine« .
Quelque chose de remarquable est en train de se passer : peu à peu, les médias occidentaux semblent abandonner leurs tristement célèbres préjugés éditoriaux sur la « vilaine Chine« .
Cette constatation n’est pas seulement basée sur une intuition, nous avons des données empiriques pour la montrer. Un analyste chinois a récemment réalisé une étude comparant la couverture de la Chine dans les principaux organes de presse occidentaux entre 2019 et 2025 : en 2019, près de 70% des articles couvrant l’économie, la technologie ou l’environnement de la Chine avaient un ton négatif, mais en 2025, la part des articles négatifs avait chuté à environ 40%, avec des augmentations significatives de couvertures neutres et positives.
Même The Economist, l’enfant vedette du titre « Bad China » qui prédit, de manière rigolote, l’effondrement de la Chine presque chaque année depuis les 3 dernières décennies, a intitulé son dernier numéro « Pourquoi la Chine gagne la guerre commerciale« , expliquant dans l’article correspondant que la Chine était « au top » et en train de changer le monde. Une incroyable inversion de narratif pour quiconque connaît leur ligne éditoriale.

Idem pour la BBC, un média tristement célèbre pour avoir utilisé un “filtre de morosité” gris sur les photos qu’il diffusait de la Chine pour leur donner un aspect plus dystopique.
Récemment, la même BBC a publié sur son compte X en chinois une vidéo présentant le paysage hivernal du Xinjiang, le décrivant comme « magnifique » et « comme un monde blanc argenté » – tout le contraire du cadrage négatif précédent au sujet de cette région. Autre exemple, ils ont récemment publié une vidéo de sept minutes intitulée « DeepSeek, TikTok, Temu: Comment la Chine prend la tête de la technologie« , louant le développement technologique rapide de la Chine.
Pourquoi cela se produit-il ? S’agit-il d’une anomalie temporaire ou assistons-nous à une tendance à plus long terme ? Je dirai que ce qui motive ce changement est simple : la logique structurelle de la multipolarité. Et ça ne va pas disparaître.
La multipolarité crée une pression structurelle
Comme de nombreux lecteurs le savent déjà, j’ai vécu en Chine entre 2015 et 2023 et il fut immédiatement visible pour moi que le gouffre entre le récit occidental et la réalité observable était stupéfiant.
Les médias occidentaux dépeignaient la Chine comme un régime dystopique, un anachronisme totalitaire qui avait raté le mémo sur la fin de l’histoire et qui soit s’effondrerait soit se libéraliserait inévitablement. La manière dont les politiciens occidentaux pouvaient apparemment agir face à la Chine, et cela reste étonnamment vrai à ce jour, était teinté d’un moralisme performatif et condescendant qui satisfaisait le public national tout en contrariant Pékin tout en tout en n’ayant aucun effet sur le changement de pouvoir matériel en cours.
Pire encore, il perpétue une mythologie auto-délirante qui empêche l’Occident de voir le profond changement en cours, à ses dépens. Un point que j’ai souvent soulevé – parce que je crois profondément que c’est vrai – est que la propagande anti-Chinoise à bien des égards aide réellement la Chine en construisant une Chine fictive dans l’esprit occidental qui est tellement séparée de la vraie Chine que les décideurs politiques ne peuvent pas formuler de réponses efficaces – ils se sont coincés eux-mêmes dans une caricature alors que le pays réel prend un avantage irréversible dans le domaine matériel.
En effet, la réalité que je vivais sur le terrain n’aurait pas pu être plus différente de ce que je lisais dans les médias chez moi : la Chine que je voyais traversait une véritable renaissance, un pays avançant à une vitesse époustouflante, dépassant progressivement l’Occident dans des domaines critiques. L’asymétrie des connaissances était ce qui me frappait le plus : je rencontrais constamment des professionnels chinois qui avaient étudié à Oxford, Stanford ou Sciences Po, qui parlaient couramment l’anglais ou le français, qui comprenaient intimement l’Occident. Mais lors de longs voyages à travers la Chine, même dans les grandes métropoles, je passais des semaines sans voir un autre Occidental. Ils avaient investi pour nous comprendre. Nous n’avions pas jugé qu’ils valaient la peine d’être compris.
Une condescendance à couper le souffle. Un pays de 1,4 milliard d’habitants, avec une classe moyenne forte de cent millions de personnes jouissant d’un niveau de vie comparable ou parfois supérieur à celui de l’Europe, et notre discours reste bloqué dans un orientalisme digne du XIXe siècle, comme si nous cataloguions encore des tribus exotiques ayant besoin de tutelle occidentale. Je suis arrivé en Chine en croyant que ses citoyens étaient endoctrinés par la propagande d’État. Je suis parti certain que nous étions beaucoup plus propagandisés, notre pensée suprématiste et condescendante nous isolant de la réalité. Nous avons commis une erreur cardinale : nous pensions que nos propres sermons moraux constituaient une analyse stratégique.
Tout cela est relativement inoffensif dans un monde où le différentiel de pouvoir est tel que vous n’avez en fait pas besoin de comprendre les autres ; vous n’avez pas besoin de comprendre la pensée ou les préoccupations de quelqu’un si vous pouvez simplement le plier à votre volonté. Mais dans un monde multipolaire, dont la définition même est qu’il y a plusieurs pôles de pouvoir qui ne peuvent se soumettre les uns aux autres, l’équation change radicalement ; les malentendus ne sont plus inoffensifs, ils sont suicidaires.
Les actions de l’administration Biden contre la Chine en sont un exemple très concret. J’ai été frappé récemment par un post de Rush Doshi (en image ci-dessous), qui a servi sous Biden comme Directeur principal adjoint du Conseil de sécurité nationale (NSC) de la Maison Blanche pour la Chine et Taiwan et, en tant que tel, fut un architecte clé de nombreuses politiques de Biden sur la Chine, y compris les tristement célèbres contrôles à l’exportation sur les semi-conducteurs avancés.
 
Post sur X de Rush Doshi le 25 octobre 2025
Dans ce post, Doshi traite les personnes qui ont critiqué les contrôles à l’exportation américains qu’il a conçus de « robots de la RPC« . C’est caractéristique de l’arrogance et du mépris que l’administration Biden avait pour le point de vue de la Chine (et accessoirement de la Russie aussi) et a créé un tort immense aux États-Unis. Lorsque vous avez si peu de respect pour votre adversaire que vous rejetez d’emblée ses préoccupations et ses commentaires comme étant ceux de « robots » insensés, vous ne devriez pas être surpris lorsque vos politiques se retournent contre vous de manière catastrophique. Le contrôle des exportations de semi-conducteurs en est un parfait exemple : bien sûr, la Chine allait avoir d’immenses inquiétudes à ce sujet, bien sûr, ils allaient considérer cela comme une tentative d’étrangler leur développement, et bien sûr, ils allaient tout faire pour contrecarrer cela (ce qu’ils ont fait avec succès, aux dépens des États-Unis : Nvidia est passé de 95% de part de marché en Chine à 0%). Mais parce que les décideurs américains comme Doshi vivent dans une chambre d’écho où toute préoccupation chinoise est sans valeur puisque ce sont juste des “robots” stupides qui bougent tous seuls, ils ont ignoré tout cela.
J’ai toujours trouvé extrêmement instructif de lire de vieux textes de missionnaires jésuites en Chine, tels que Matteo Ricci, car ils offrent une fenêtre fascinante sur la façon dont nous avions l’habitude de nous engager entre civilisations avant que le différentiel de pouvoir ne devienne tel que la compréhension mutuelle est devenu facultative.
Les jésuites sont arrivés dans une Chine plus riche, plus peuplée et technologiquement comparable à l’Europe. Ce monde, à toutes fins utiles, était multipolaire et en l’absence d’une asymétrie de pouvoir écrasante, nous devions nous engager avec d’autres « pôles » sur des termes d’égalité approximative, conduisant à de véritables échanges intellectuels. Les missionnaires ont appris le chinois, étudié les classiques confucéens, adapté la théologie catholique aux contextes locaux – non pas par multiculturalisme éclairé mais par nécessité. Ils avaient compris ce que nous avons oublié : que lorsque vous ne pouvez pas imposer votre cadre, vous devez apprendre à opérer à l’intérieur de celui d’un autre.
C’est la logique qui revient aux affaires internationales : un monde où l’Occident n’a plus le pouvoir écrasant d’imposer ses préférences, forçant un retour aux anciens arts diplomatiques de l’accommodement, de la traduction et de la négociation basée sur les intérêts plutôt que sur les valeurs.
Je crois qu’au fond, c’est la dynamique structurelle clé sous-jacente à ce changement progressif de ton dans les médias occidentaux sur la Chine : alors que la multipolarité devient indéniable, même les médias les plus idéologiquement engagés doivent à contrecœur adapter leur couverture pour rester attachés à la réalité. Pas par illumination soudaine, mais par nécessité, la même nécessité qui poussait les missionnaires jésuites à apprendre le mandarin.
Il y a aussi le fait, bien sûr, que les institutions médiatiques, malgré tous leurs préjugés, dépendent en fin de compte de leur crédibilité. Lorsque vos lecteurs peuvent voir de leurs propres yeux les percées chinoises en matière d’IA, les réseaux ferroviaires à grande vitesse et la domination dans l’énergie verte – à travers les voyages, via TikTok, à travers les produits qu’ils achètent – une couverture négative sans relâche s’auto-discrédite. La confiance dans les médias occidentaux est déjà au plus bas et leur titrage d’articles sur la Chine avec la désormais mémétique formule “…mais à quel prix ? » – ajoutée de manière systématique à tout développement positif – est devenue si prévisible qu’elle s’est transformée en une blague courante en ligne. L’auto-parodie n’est pas exactement une stratégie éditoriale durable si vous voulez survivre en tant qu’entreprise médiatique.
La fin du financement américain
Un autre facteur qui ne devrait pas être écarté est le démantèlement par l’administration Trump de vastes pans de l’appareil de “soft power” des États-Unis, y compris l’USAID. L’agence avait financé la formation et le soutien de 6 200 journalistes dans 707 organes de presse, allouant des centaines de millions de dollars spécifiquement à cette fin. Du jour au lendemain, ce financement s’est évaporé. Cela doit avoir un certain impact. Reporters sans frontières a même déclaré que cette décision « plonge le journalisme dans le chaos dans le monde entier« .
Maintenant, bien sûr, je sais bien que la plupart des médias recevant de l’USAID ou d’autres types de financement américain de “soft power” ne prenaient pas de commandes éditoriales directes (bien qu’il existe certains types de financement américain où c’est littéralement le cas), mais il est douloureusement évident que les structures de subventions incitaient naturellement certains types de couverture: étant donné la rivalité américano-chinoise, vous aviez de fortes incitations à limiter toute couverture positive de la Chine si vous vouliez que votre financement américain soit renouvelé.
En tout cas, la question n’est pas de savoir si c’était justifié ou de la simple propagande – le fait est que cela existait, c’était substantiel, et c’est maintenant terminé. Et lorsque la structure incitative qui récompensait certains types de reportage sur la Chine s’effondre, il est quelque peu logique que les premières pages de journaux changent en conséquence, alors nous voyons les médias occidentaux se tourner un peu plus “amicalement” vers la Chine au moment même où leur plus grande source de financement pour une couverture contradictoire disparait. Corrélation n’est pas causalité, mais il convient de noter que les corrélations s’alignent précisément sur cette affaire.
L’effet « SDT«
Un dernier facteur, mais non le moindre, qui ne devrait pas être écarté est le soi-disant “syndrome de dérangement de Trump” qui – si l’on est réaliste – existe dans les médias traditionnels, en particulier les médias libéraux.
C’est difficile à quantifier ou à identifier, mais il est logique de penser que cela doit jouer un rôle dans la façon dont les médias occidentaux repensent leur hiérarchie des “menaces” : si Trump est considéré comme la menace la plus puissante pour les valeurs libérales, cela recalibre nécessairement la façon dont les autres acteurs sont perçus. La Chine commence à paraître beaucoup plus raisonnable et moins menaçante en comparaison. L’ennemi de mon ennemi devient, sinon tout à fait un ami, du moins mérite d’être couvert plus charitablement.
Cela devrait d’autant plus être le cas que la Chine est en fait beaucoup plus alignée sur certaines priorités libérales traditionnelles que Trump ne l’est. Lorsque Trump s’est retiré de l’Accord de Paris sur le climat, la Chine est restée et s’est positionnée en tant que leader climatique. Lorsque Trump a retiré le financement de l’OMS, la Chine a augmenté son soutien. Lorsque Trump a imposé des tarifs douaniers chaotiques et menacé ses alliés de guerres commerciales, la Chine a prononcé des discours à Davos sur la défense du libre-échange et du multilatéralisme. Cela crée une dissonance cognitive assez comique pour les médias libéraux et, à un moment donné, quelque chose doit céder : vous ne pouvez pas simultanément soutenir que Trump représente le chaos et le déclin civilisationnel tout en dépeignant la Chine – qui s’oppose à bon nombre de ses mouvements les plus déstabilisateurs – comme une menace tout aussi apocalyptique. Le raisonnement ne fonctionne pas.
Cela joue sans aucun doute un rôle, dans une certaine mesure, lorsque la couverture de la Chine devient moins urgente sur le plan existentiel, plus disposée à reconnaître les nuances, plus contextuelle dans ses critiques.
Est-ce une tendance à long terme ?
Alors, où tout cela nous amène-t-il ? Des trois facteurs que j’ai décrits, l’un est temporaire et deux sont structurels – ce qui vous dit tout ce que vous devez savoir pour savoir si ce changement durera.
Le syndrome de dérangement de Trump s’estompera, ne serait-ce que parce que l’homme a 79 ans et quittera ses fonctions d’une manière ou d’une autre, mais les deux autres facteurs ? Ceux-là ne vont pas changer. La réalité multipolaire qui force à la compréhension mutuelle n’est pas réversible – l’ascension de la Chine est un fait accompli, pas une fluctuation temporaire. Et le démantèlement de l’appareil de soft power américain, bien que théoriquement réversible, ne montre aucun signe de reconstruction : il reflète un profond épuisement du leadership mondial américain et les coûts que cela entraîne. Une future administration pourrait-elle inverser la tendance ? Théoriquement. Mais l’économie politique qui a soutenu le soft power américain pendant des décennies a fondamentalement changé. Ce monde-là ne reviendra pas.
En fait, le changement auquel nous assistons va probablement s’approfondir plutôt que s’inverser. Le coût de l’incapacité à comprendre la Chine – en rejetant leurs préoccupations de « robots de la RPC« , en se bornant à des caricatures – est devenu prohibitif. L’Occident réapprend ce que ses missionnaires jésuites avaient l’habitude de comprendre : lorsque vous ne pouvez pas imposer votre cadre, vous devez apprendre à opérer à l’intérieur de celui d’autrui. Pas par vertu, mais par nécessité. Et la nécessité, contrairement aux vents politiques, ne change pas de direction.
Arnaud Bertrand
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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