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√L’Allemagne peut-elle faire confiance à Friedrich Merz ? ~ Songkrah


Par Thomas Fazi – Le 22 février 2025 – Source Unherd  

« Homme de Davos un jour, Homme de Davos toujours ».

À 69 ans, Friedrich Merz attend ce moment depuis des décennies. À l’approche des élections de dimanche, il est le futur chancelier de l’Allemagne, son parti, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), devant obtenir 30 % des suffrages. Il devra mettre sur pied une nouvelle coalition de partis disparates, mais Merz n’y verra pas d’inconvénient. Lundi matin, il aura accompli l’une des plus remarquables remontées de l’histoire politique récente.

Merz a rejoint le parti il y a plusieurs décennies, en tant qu’étudiant. Mais aujourd’hui, il se présente effectivement sur un programme « Make Germany Great Again » – une tentative calculée de gagner des voix sur l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) en déplaçant son parti vers la droite pour des questions telles que l’immigration. Son cynisme ne doit pas être sous-estimé : comme Donald Trump aux États-Unis, le millionnaire Merz est un roi de l’entreprise déguisé en conservateur.

N’oublions pas que Merz représente depuis longtemps les intérêts de certaines des élites financières et d’entreprise les plus puissantes du monde, notamment en tant que représentant clé de BlackRock en Allemagne entre 2016 et 2020. En effet, si Merz est élu, l’Allemagne deviendra le premier pays à être dirigé par un ancien représentant de BlackRock. Mais ses liens avec les institutions d’élite remontent à bien plus loin : pendant plus de vingt ans, avant même de rejoindre BlackRock, il a incarné la porte tournante entre la politique, les affaires et la finance.

Après les élections fédérales de 2002, Angela Merkel, alors à la tête de la CDU, a obtenu la présidence du groupe parlementaire, tandis que Merz a été nommé son adjoint. Leur relation fut cependant loin d’être au beau fixe et Merz a démissionné deux ans plus tard, se retirant progressivement de la vie politique jusqu’à ce qu’il quitte le Parlement en 2009. Pourtant, il avait trouvé l’or avant même son départ. En 2004, il a été engagé comme conseiller principal par le cabinet international de droit et de lobbying Mayer Brown, un poids lourd du secteur avec un chiffre d’affaires annuel de plusieurs milliards.

C’est là que Merz a découvert une relation bien plus fructueuse. Comme l’explique Werner Rügemer, auteur de BlackRock Germany, chez Mayer Brown, Merz a contribué à faciliter des transactions visant à promouvoir les intérêts des capitaux américains en Allemagne, en encourageant les investisseurs américains à acheter des entreprises en République fédérale. Le résultat a été la vente et la restructuration de milliers d’entreprises allemandes, qui ont entrainé la suppression d’emplois et le gel des salaires – une approche ouvertement louée par Merz dans son livre Dare to Be More Capitalist (Osez être plus capitaliste). Sans doute désireux d’incarner la thèse de son livre, Merz a également siégé, durant cette période, aux conseils de surveillance et d’administration de plusieurs grandes entreprises. C’est alors que BlackRock, sans doute l’une des entreprises les plus puissantes qui aient jamais existé, est venue frapper à sa porte. Comment Merz aurait-il pu refuser ? Produits pharmaceutiques, divertissement, médias et, bien sûr, guerre : il n’y a pratiquement aucun secteur dont BlackRock n’essaie pas de tirer profit.

L’intérêt d’engager Merz n’est pas difficile à comprendre. Il a facilité les réunions entre le PDG de BlackRock, Larry Fink, et les hommes politiques allemands, contribuant à façonner les politiques qui profiteraient à la société et à son vaste portefeuille d’investissements. Sous l’influence de Merz, par exemple, BlackRock est devenu l’un des plus grands actionnaires non allemands de nombreuses entreprises parmi les plus importantes du pays, de la Deutsche Bank à Volkswagen, en passant par BMW et Siemens. Cependant, son travail n’a pas seulement consisté à augmenter les profits des actionnaires ; il a également consisté à façonner un environnement politique dans lequel les intérêts des entreprises étaient alignés sur la politique du gouvernement. Par une heureuse coïncidence, il a également créé un climat dans lequel quelqu’un comme Merz pouvait facilement naviguer entre les grandes entreprises et le Bundestag.

C’est ainsi qu’en 2021, Merz, armé d’un compte en banque gonflé à bloc et de deux jets privés, est revenu sur la scène politique en tant que chef de file de la CDU. Sans surprise, sa philosophie politique est fermement ancrée dans le néolibéralisme. Il est un fervent partisan de la privatisation et de la déréglementation. Ces mesures sont souvent formulées sous la forme de promesses visant à réduire la bureaucratie et à attirer les investisseurs étrangers. Mais, en réalité, ce double langage d’entreprise est destiné à masquer l’importance qu’il accorde à donner des solutions venant du secteur privé aux problèmes publics. Merz est donc un fervent partisan de la privatisation des systèmes de protection sociale, au profit d’entreprises telles que BlackRock, leader dans le domaine des régimes de retraite privés. Il a également toujours été un fervent opposant au salaire minimum et aux lois contre les licenciements abusifs. Sous son mandat, les travailleurs allemands risquent fort de voir leurs salaires continuer à stagner, voire pire.

Mais il est difficile de croire que les Allemands ordinaires sont la préoccupation de Merz. Homme de Davos un jour, homme de Davos toujours – et sa longue histoire de représentant des puissantes industries, notamment les secteurs de la chimie, de la finance et de la métallurgie, laisse penser qu’il aura d’autres priorités. En tant que chancelier, par exemple, Merz pourrait être appelé à réglementer des secteurs auxquels il est associé depuis longtemps – et que Mayer Brown, son ancien employeur, représente toujours.

Rappelons également que, sous la direction de Merz, la CDU a reçu des millions d’euros en dons de campagne de la part des mêmes intérêts commerciaux qu’il a représentés dans le passé – plus que tout autre parti. Pour les lobbyistes allemands et internationaux, avoir Merz – un ancien collègue – comme chancelier est donc un rêve devenu réalité. Ou, comme le dit Rügemer : « C’est mettre le renard à la tête du poulailler ».

Il ne s’agit pas non plus d’une simple question d’économie : Les relations de Merz avec le monde de l’entreprise influencent également sa politique étrangère. Au fond, c’est un atlantiste convaincu, qui croit fermement au rôle de l’Amérique en tant que garant de l’ordre mondial. Cette position idéologique a conduit Merz à s’aligner sur les États-Unis sur des questions telles que le gazoduc Nord Stream 2, appelant à l’annulation du projet bien avant l’escalade de la crise ukrainienne. Sa position va-t-en-guerre en matière de politique étrangère, notamment en ce qui concerne son soutien musclé à l’Ukraine, illustre encore son alignement sur les anciennes priorités géopolitiques des États-Unis, même au détriment des intérêts fondamentaux de son propre pays. Après tout, l’une des principales raisons de la contraction de l’économie allemande et de la désindustrialisation en cours est sa décision de se dissocier du gaz russe sous la forte pression des États-Unis.

Aujourd’hui, bien sûr, Washington a une politique ukrainienne très différente. Merz sera-t-il contraint d’abandonner ses convictions atlantistes ? Pas nécessairement. Bien que sa position anti-russe et ses tendances militaristes semblent aller à l’encontre des efforts de Trump pour désamorcer le conflit, la réalité est que leurs visions sont plus alignées qu’il n’y paraît de prime abord. En fin de compte, que demande Trump à l’Europe ? Une augmentation des dépenses de défense et un rôle important dans la prise en charge des responsabilités financières et stratégiques pour la sécurité de l’Ukraine après la guerre, ce qui pourrait même impliquer le déploiement d’une force européenne de « maintien de la paix ».

Ces politiques s’inscrivent parfaitement dans la vision de Merz. Il préconise depuis longtemps l’augmentation du budget de la défense allemande, une position saluée par ses alliés du complexe militaro-industriel allemand. Aujourd’hui, en fait, il a rejoint le chœur appelant l’Europe à « prendre sa sécurité en main ». Trump ne pouvait pas demander mieux. Cette convergence stratégique, associée aux tendances conservatrices de Merz, à ses liens profonds avec les secteurs financiers et les entreprises américaines, et à son atlantisme bien ancré, le placent en bonne position pour devenir le « vassal en chef » européen de l’Amérique dans notre ère post-libérale. L’Allemagne se retrouverait ainsi à la tête d’une Union européenne à la fois plus faible économiquement et plus forte militairement, même si elle reste à la dérive sur le plan stratégique.

Cet arrangement s’accompagnera de nombreux discours sur l’« autonomie » allemande et européenne – et peut-être même de désaccords publics passionnés entre Berlin et Washington. En réalité, il s’agira surtout d’une façade, car cette nouvelle dynamique ne servira que les élites européennes et américaines. Les premières continueront d’alimenter la peur de la Russie pour justifier l’augmentation des dépenses de défense, en détournant les fonds des programmes sociaux et en légitimant la poursuite de la répression de la démocratie. Quant aux secondes, elles continueront à bénéficier de la dépendance économique de l’Europe à l’égard des États-Unis. Pendant ce temps, des gens comme Merz seraient bien placés pour aider à la poursuite de la cannibalisation de l’Europe aux mains du capital américain.

Nous ne devrions pas être surpris. Au cours des deux dernières décennies, Merz, tout comme Trump, a prouvé qu’il était d’abord un homme d’affaires et ensuite un politicien. Pourtant, contrairement à Trump, qui a au moins quelques références populistes, la victoire de Merz sera célébrée dans les salles de conseil de BlackRock et d’autres grandes entreprises, qui peuvent s’attendre à voir leurs soldes bancaires commencer à augmenter régulièrement. Comme souvent, cependant, les électeurs ordinaires ne doivent pas s’attendre à ce qu’une part leur soit versée.

Thomas Fazi

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

songkrah.blogspot.com

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