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√Trump orchestre-t-il une retraite stratégique complète sur tous les fronts ? ~ Songkrah


Par Arnaud Bertrand – Le 8 juillet 2025 – Source Blog de l’auteur

Et si, derrière toute la rhétorique “Make America Great Again”, Trump orchestrait en fait la retraite stratégique la plus totale de l’histoire américaine ?

Et si ce père évangélique chinois n’avait pas vraiment tort, en ce sens que Trump ne “détruit pas les États-Unis” en soi, mais à tout le moins érode systématiquement la position stratégique de l’Amérique sur tous les fronts qui comptent ?

Un étudiant international chinois dans ma classe me disait que son père, un pasteur évangélique de Beijing, pense que Trump a été choisi par Dieu pour gagner les élections mais que cette victoire est une partie d’un grand plan divin cherchant à détruire les Etats-Unis.

Certes, Trump est fondamentalement un impérialiste dans la rhétorique et l’instinct. Ses menaces d’annexer le Groenland et le Canada, ou de transformer Gaza en un lieu de villégiature, devraient dissiper tout doute ou notion romantique. Néanmoins, il est incontestable que lorsque vous examinez la position de l’Amérique sur les principaux fronts stratégiques qui définissent le statut de grande puissance, le schéma d’une retraite est indubitable.

Au tout début de son administration, le 3 février, j’écrivais que nous assistions à l’avènement “d’un ordre mondial post-américain – apporté par l’Amérique elle-même” – un retrait impérial quelque peu contrôlé et déguisé en épreuve de force, plutôt que de le voir s’effondrer sous son propre poids.

Si l’on regarde les actions plutôt que les mots, cette thèse n’a fait qu’être confirmée depuis.

Pour une grande puissance comme les États-Unis, quels sont les principaux fronts stratégiques ? C’est-à-dire les principaux piliers du pouvoir national qui déterminent la capacité d’un pays à influencer les affaires mondiales et à maintenir sa position dans la hiérarchie internationale ?

Je dirais que les 4 plus importants sont les suivants :

  • Militaire
  • Commercial et financier
  • Diplomatique
  • Technologique

Observons chacun d’eux.

Le front militaire

La politique emblématique de Trump en ce qui concerne le statut des États-Unis en tant que “gendarme du monde” a essentiellement consisté à évaluer les engagements militaires comme étant des arrangements commerciaux coûteux plutôt que des investissements stratégiques pour garder la primauté mondiale.

Dans le jargon trumpien, l’Amérique s’est “fait arnaquer” par des alliés qui refusent de “payer leur juste part” pour le parapluie de sécurité qui coûte des milliers de milliards aux contribuables américains. Les engagements militaires mondiaux de l’Amérique représentent le “mauvais accord » ultime – où les États-Unis dépensent des ressources massives pour protéger des alliés ingrats qui rivalisent ensuite économiquement avec les travailleurs et les entreprises américaines. Les alliances militaires devraient fonctionner comme des partenariats commerciaux où “si vous ne payez pas, vous n’obtenez aucune protection.”

À bien des égards, il n’a pas si tort que ça, mais nous ne devrions pas ignorer à quel point cela représente un changement d’arrêter de considérer la présence militaire comme une projection de puissance pour la considérer comme un fardeau.

Simultanément, de nombreux signes indiquent que les États-Unis se retirent militairement, au moins sur une base relative, à la fois d’Asie et d’Europe.

En Asie, le graphique ci-dessous dit tout. Il s’agit du nombre TOTAL de navires de la marine américaine – dans le monde entier – par rapport à la marine chinoise.

Les trajectoires navales divergentes capturent parfaitement le recul stratégique plus large de l’Amérique et le fait que, sur une base relative, les États-Unis ont simplement laissé leur position militaire décliner à un stade où, comme le dit le principal stratège militaire australien Hugh White : “La Chine est maintenant en mesure de refuser aux États-Unis toute perspective de victoire militaire conventionnelle dans une guerre contre la Chine dans le Pacifique occidental.

Ce phénomène a été alimenté non seulement par la complaisance, mais aussi par le déclin industriel dévastateur de l’Amérique. Alors que la capacité de construction navale de la Chine dépasse désormais celle des États-Unis de 232 fois, les États-Unis peuvent à peine produire 1,2 sous-marin par an alors qu’ils en ont besoin de 2,33 pour remplir leurs engagements de base.

Cette insuffisance industrielle fait maintenant s’effondrer en temps réel les accords de l’Alliance indo-Pacifique. Le Pentagone examine s’il faut abandonner l’accord de l’alliance AUKUS car, comme l’a admis le Congrès dans un rapport de fin 2024, la base industrielle dégradée des États-Unis peut à peine répondre à ses propres besoins en sous-marins, sans parler de ceux de l’Australie. Vendre les sous-marins promis à l’Australie signifierait épuiser la flotte de la marine américaine.

Même histoire en Europe – où la faiblesse industrielle de l’Amérique force l’abandon d’engagements déguisés en politique de “l’Amérique d’Abord”. Il y a quelques jours à peine, le Pentagone a discrètement interrompu certaines livraisons d’armes à l’Ukraine, notamment des systèmes critiques de défense aérienne Patriot, des missiles Hellfire et des obus d’artillerie, invoquant des inquiétudes selon lesquelles les stocks américains étaient trop faibles et la nécessité de “faire passer les intérêts de l’Amérique en premier.”

Cet aveu stupéfiant d’insuffisance intervient alors que le Secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, a révélé que la Russie produit en trois mois ce que l’ensemble de l’Alliance de l’OTAN produit en un an.

Pendant ce temps, l’administration continue d’exiger des Européens qu’ils augmentent leurs dépenses de défense tout en démontrant simultanément l’incapacité de l’Amérique à soutenir même un conflit régional, leur demandant effectivement de payer plus pour une protection que l’Amérique peut de moins en moins fournir.

Dans l’ensemble, le tableau est assez clair : sur le front stratégique qui a toujours été le fondement de l’hégémonie mondiale américaine – la suprématie militaire – l’écart entre la rhétorique trumpienne et la réalité stratégique n’a jamais été aussi grand. Alors que Trump fanfaronne en demandant aux alliés de “payer leur juste part » et menace d’annexer des territoires étrangers, l’Amérique réduit systématiquement son empreinte militaire mondiale, car sa base industrielle s’avère incapable de soutenir même les conflits régionaux. L’ère où la supériorité militaire américaine était incontestable se termine, et la contribution de Trump a été de déguiser ce déclin inévitable en choix stratégique, encadrant ce qui équivaut à un retrait forcé comme étant la sagesse de mettre “l’Amérique d’Abord”.

Le front commercial et financier

Si la retraite militaire de Trump a été déguisée en partage du fardeau, son approche du commerce et de la finance représente peut-être une abdication encore plus dramatique du leadership économique américain – enveloppée dans une rhétorique de nationalisme économique.

Dans le cadrage trumpien, l’Amérique a été victime du plus grand vol économique de l’histoire. Les pays étrangers « dévorent » l’Amérique par des accords commerciaux injustes, des manipulations de devises et des pratiques commerciales prédatrices. La solution consiste à « riposter » avec des tarifs douaniers, des guerres commerciales et des coercitions économiques pour forcer de meilleurs accords et restaurer la domination économique américaine.

Pourtant, examinez les résultats réels, et une image différente émerge.

Prenez les taxes douanières du Liberation Day – la tentative la plus ambitieuse de Trump de remodeler les relations commerciales mondiales. Après avoir annoncé des droits de douane considérables sur la quasi-totalité du monde et l’avoir déclaré comme étant “un des jours les plus importants de l’histoire américaine”, Trump a prédit que les pays “mourraient d’envie de conclure un accord” et “lui baiseraient le cul” pendant les négociations. La réalité ? Après 90 jours, seuls 3 accords-cadres modestes ont été conclus avec 3 pays. Et l’un d’eux, avec la Chine, parce qu’elle avait riposté et essentiellement forcé les États-Unis à négocier selon leurs conditions, ce qui a abouti à un cadre mutuellement salvateur.

Au lieu que les pays implorent la miséricorde de Trump, la plupart l’ont simplement ignoré, les alliés sont devenus hostiles, la Chine l’a fait cligner des yeux en premier en démontrant qu’ils pouvaient infliger de réelles souffrances économiques et l’Amérique a fini par paraître faible, isolée et dépassée par les pays mêmes que Trump prétendait qu’ils allaient « embrasser son cul. »

Cette tendance s’étend au-delà des prises de bec commerciales. L’approche plus large de Trump a systématiquement aliéné les partenaires économiques des États-Unis tout en renforçant les blocs concurrents. Son retrait du Partenariat transpacifique a donné à la Chine les clés de l’intégration économique asiatique.

Ses guerres commerciales ont poussé les alliés traditionnels vers des arrangements alternatifs : par exemple, dans ce qui aurait semblé impensable il y a encore quelques années, la Chine, le Japon, la Corée du Sud et les pays de l’ASEAN ont publié une déclaration commune en mai dans laquelle ils ont adopté une position unifiée contre « l’escalade du protectionnisme commercial« , une référence claire aux taxes douanières de Trump. Ils écrivent que leur « priorité politique » commune est de « renforcer la résilience à long terme » de la région, ce qui, compte tenu des politiques qu’ils détaillent, signifie clairement la construction d’infrastructures financières et commerciales qui visent à se soustraire aux États-Unis.

Pendant ce temps, l’architecture financière qui sous-tend la puissance américaine depuis des décennies est confrontée à des défis sans précédent. Les pays effectuent de plus en plus de transactions en monnaies alternatives. Les pays BRICS développent activement des systèmes pour contourner le dollar américain, Trump criant désespérément contre cela sur Truth Social, un signe montrant la façon dont l’Amérique a été réduite à proférer des menaces de plus en plus dénuées de sens (pourquoi les pays seraient-ils influencés par cela si pratiquement aucun ne l’était par ses taxes Liberation Day ?) contre des tendances économiques qu’il ne peut plus contrôler.

Tout pays s’alignant sur les politiques anti-américaines de BRICS verra une surcharge de 10% sur les taxes douanières déjà appliquées. Il n’y aura pas d’exception à cette politique. Merci de votre attention.

Même des alliés proches comme le Japon ont commencé à menacer d’utiliser leurs bons du Trésor étasuniens comme des armes pour contrer les politiques commerciales américaines.

Le résultat est un phénomène curieux : l’Amérique utilise son levier économique restant pour accélérer sa propre marginalisation. Chaque guerre commerciale incite les autres pays à réduire leur exposition à la coercition économique américaine. Chaque augmentation des droits de douane pousse les alliés vers des blocs économiques alternatifs. Chaque menace unilatérale rappelle au monde pourquoi ils ont besoin d’alternatives aux systèmes dominés par les Américains.

Le génie de Trump a été de présenter ce repli stratégique comme étant un nationalisme économique – présentant ce qui équivaut au retrait de l’Amérique du leadership économique mondial comme étant une restauration de la force américaine. Mais derrière les fanfaronnades, le schéma est indubitable : l’abandon systématique des relations économiques et des institutions qui ont rendu possible la domination commerciale et financière américaine en premier lieu.

Le front diplomatique

Mettre ”Trump“ et ”diplomatie » ensemble dans la même phrase est presque un oxymore – aucun dirigeant occidental n’a fait plus, depuis des décennies, pour détruire systématiquement le concept même de diplomatie en tant qu’établissement de relations patientes, de coopération multilatérale et d’engagement institutionnel.

Trump considère la coopération multilatérale comme une preuve de la faiblesse américaine et l’établissement de relations comme un travail caritatif. Son approche a consisté à démanteler systématiquement l’architecture diplomatique mondiale – en se retirant unilatéralement des accords, en criant constamment des menaces et des insultes contraires aux normes diplomatiques, et en remplaçant les relations institutionnelles par des accords personnels chaotiques et toujours contradictoires.

Prenez sa dernière « diplomatie » avec l’Iran par exemple. Pour commencer, toute la crise a commencé avec le retrait unilatéral par Trump du JCPOA en 2018 – abandonnant un accord auquel l’Iran se conformait pleinement selon l’AIEA, et réimposant des sanctions qui étranglaient l’économie iranienne.

Puis, lors du dernier mandat, Trump a essentiellement militarisé le concept de diplomatie, en utilisant un faux engagement diplomatique comme couverture pour une attaque prédéterminée. Il a essentiellement piégé l’Iran avec des conditions inacceptables (non-enrichissement complet et démantèlement de toutes les installations) qui seraient inévitablement rejetées afin que l’Iran puisse être blâmé pour la rupture diplomatique et les attaques conjointes américano-israéliennes qui ont suivi. Pire encore, l’AIEA a été essentiellement utilisée comme une arme contre l’Iran – récompensant les décennies de coopération de l’Iran en fournissant des renseignements de ciblage à ses attaquants, puis en fournissant une conclusion de “non-conformité”, le 12 juin, qui a servi de couverture diplomatique aux frappes israéliennes qui ont commencé quelques heures plus tard.

Dans l’ensemble, le message envoyé à tous les autres pays est catastrophique pour la confiance en les États-Unis en tant qu’acteur équitable et la confiance en la diplomatie et les institutions multilatérales diplomatiques.

Ou prenez les lettres que Trump vient d’envoyer à tous les pays qui n’ont pas respecté son ultimatum unilatéral de 90 jours pour les taxes douanières. L’exemple sud-coréen est particulièrement révélateur car il capture parfaitement la nature orwellienne de la diplomatie de Trump.

Il menace d’imposer des droits de douane de 25% à la Corée du Sud tout en affirmant qu’ils imposent des droits de douane injustes sur les produits américains – sauf que la Corée du Sud impose déjà des droits de douane de 0% sur les produits américains en vertu de l’accord KORUS de 2007 que les États-Unis ont signé. En envoyant cette lettre, Trump abandonne unilatéralement cet accord tout en mentant simultanément sur ses termes. Puis il a l’audace de terminer par “Vous ne serez jamais déçu par les États-Unis d’Amérique” – dans une lettre qui est pourtant la preuve même du manque de fiabilité diplomatique américaine.

La lettre est un chef-d’œuvre d’autodestruction diplomatique : prouver le manque de fiabilité des États-Unis tout en revendiquant la fiabilité, rompre les accords tout en exigeant le respect et menacer les alliés tout en promettant un partenariat.

Je pourrais citer des centaines d’autres exemples, mais le tableau d’ensemble est clair : Trump détruit systématiquement les relations diplomatiques américaines, ainsi que les institutions et normes diplomatiques mondiales qui ont été en grande partie construites par les États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale. En qualifiant l’engagement diplomatique de faiblesse et la coopération multilatérale d’exploitation, Trump fournit une couverture idéologique à ce qui équivaut au retrait de l’Amérique de son rôle d’acteur diplomatique.

Le front technologique

La technologie est peut-être l’un des derniers fronts stratégiques que Trump n’a pas essayé de saboter systématiquement. C’est sans doute le seul domaine stratégique où son administration a activement tenté de renforcer la position de l’Amérique.

Pourtant, même ici, où les intentions de Trump s’alignent apparemment sur la préservation de la supériorité américaine, il fait des choix politiques qui ne peuvent qu’éroder la position des États-Unis en tant que leader technologique à moyen et long terme.

Prenez l’énergie par exemple. Comme le dit le proverbe “l’économie est transformée par l’énergie” et cela est particulièrement vrai pour de nombreuses technologies du futur, telles que l’IA ou l’informatique quantique. Sam Altman d’OpenAI a récemment déclaré dans un témoignage au Congrès que “finalement, le coût de l’intelligence, le coût de l’IA, convergera avec le coût de l’énergie » et “quelle que soit la quantité, l’abondance de celui-ci sera limitée par l’abondance de l’énergie, donc en termes d’investissements stratégiques à long terme à faire, je ne peux penser à rien de plus important que l’énergie.”

Très concrètement, cela signifie qu’il n’y a pas de “gagnant” en IA sans d’abord gagner en énergie. Les pays qui ne peuvent pas générer une électricité abondante et bon marché seront tout simplement incapables de rivaliser efficacement. L’énergie est vraiment la clé maîtresse de la suprématie technologique ; celui qui contrôle l’infrastructure énergétique la moins chère et la plus évolutive débloquera des avantages dans la plupart des secteurs technologiques qui comptent.

Tout cela fait de l’accent mis par Trump sur les combustibles fossiles alors que la Chine domine les énergies renouvelables l’un des choix stratégiques les plus à courte vue de l’histoire moderne. Nous assistons à une divergence énergétique sans précédent entre les superpuissances : la Chine se positionne comme étant le producteur énergétique propre du monde tandis que l’Amérique devient la station-service du monde. Cela a été fantastiquement illustré par ce récent tableau comparatif publié dans le NYT qui pourrait s’avérer être la visualisation géopolitique la plus importante du 21ème siècle.

Les implications concurrentielles sont stupéfiantes – l’électricité renouvelable coûte 19 à 26 dollars par mégawattheure contre 67 dollars pour le gaz naturel, ce qui donne aux pays dotés d’infrastructures en renouvelables un avantage 2 à 3 fois supérieur pour alimenter les technologies du futur. Alors que 87% des investissements énergétiques des pays du Sud se dirigent désormais vers les énergies renouvelables, le monde vote essentiellement, avec son capital, pour le paradigme énergétique chinois plutôt que pour celui des États-Unis.

L’approche de Trump ne fait pas que handicaper la compétitivité technologique américaine ; elle accélère l’émergence de la Chine en tant que partenaire essentiel pour tout pays en quête de progrès technologique, tout en positionnant l’Amérique comme étant un obstacle au progrès technologique.

Nous pourrions également mentionner les attaques sans précédent de Trump contre les universités américaines, comme la décision de son administration d’interdire complètement les étudiants étrangers à l’Université Harvard. Que cela soit effectivement mis en œuvre ou pas, il est difficile de prétendre que cela ne mine pas directement la compétitivité technologique américaine ; les étudiants étrangers expulsés par Trump sont souvent les mêmes personnes qui fondent des entreprises technologiques américaines, mènent des recherches révolutionnaires et stimulent l’innovation. Par exemple, une étude récente a révélé que la moitié des « meilleurs cerveaux de l’IA » aux États-Unis sont d’origine chinoise.

Et même sans tenir compte des impacts à moyen et long terme de telles attaques, les chiffres sont clairs comme de l’eau de roche : le leadership technologique relatif de l’Amérique s’érode déjà à un rythme très rapide.

Pour preuve, il suffit de jeter un œil à l’évolution du classement des leaders de la recherche faisant autorité du Nature Journal au cours des 5 dernières années. Il y a cinq ans, en 2020, 8 des 10 meilleures institutions de recherche au monde étaient occidentales, dont 3 américaines. Aujourd’hui, en 2025, 8 des 10 meilleures institutions de recherche au monde sont chinoises. Un renversement complet en seulement 5 ans.

Ou prenez le Suivi des technologies critiques sur deux décennies de l’ASPI, un examen complet des pays leaders dans les 64 technologies les plus critiques de l’avenir ; de l’IA à la biotechnologie en passant par l’informatique quantique. Les résultats sont tout simplement extraordinaires : la Chine domine désormais 57 technologies sur 64 (89%), tandis que les États-Unis n’en dominent que 7. Pour mettre cela en perspective, il y a vingt ans, les rôles étaient complètement inversés – l’Amérique menait dans 60 technologies tandis que la Chine n’en menait que 3. Cela représente peut-être le changement de pouvoir technologique le plus spectaculaire de l’histoire, compressé en seulement deux décennies.

Le front technologique révèle l’ironie ultime de l’approche de Trump : même dans le seul domaine stratégique où son administration tente véritablement de renforcer la position de l’Amérique, sa politique plus large crée des désavantages structurels qui s’aggravent avec le temps. En choisissant des combustibles fossiles coûteux plutôt que des énergies renouvelables bon marché, l’Amérique s’enferme dans des coûts énergétiques 2 à 3 fois plus élevés que ses concurrents pendant des décennies. En attaquant les universités et en expulsant les étudiants étrangers, Trump détruit le pipeline de capital humain qui soutient l’innovation américaine depuis des générations. En s’aliénant des partenaires internationaux, il pousse d’autres pays vers les écosystèmes technologiques chinois.

Un empire britannique moderne ?

La dernière fois que nous avons assisté à une transition de cette ampleur, c’était lors de la cession progressive du leadership mondial de la Grande-Bretagne à l’Amérique dans la première moitié du 20e siècle ; une transition qui, malgré deux guerres mondiales, a été gérée relativement gracieusement pendant plusieurs décennies entre les nations alliées.

Je ne veux pas donner l’impression que Trump est la seule et unique cause du déclin stratégique de l’Amérique. En fait, je ne pense même pas qu’il soit une cause du tout : au contraire, il est simplement un accélérateur d’un changement structurel qui dure depuis des décennies ; la montée des concurrents homologues, la diffusion technologique, le rééquilibrage économique et les limites naturelles de la surexploitation hégémonique devaient à terme défier la primauté américaine.

La question cruciale est de savoir si l’Amérique gérera cette transition de manière stratégique – comme l’a fait la Grande-Bretagne, en essayant de façonner le nouvel ordre naissant de manière à préserver l’influence britannique – en maintenant la “relation spéciale« , en restant au cœur des nouvelles institutions comme l’OTAN et l’ONU, et en s’adaptant plutôt que de résister au changement inévitable.

Trump, et certains de ses prédécesseurs avant lui, ont choisi la voie inverse : détruire systématiquement les institutions mêmes que l’Amérique a construites pour projeter une influence mondiale et s’opposer à de nouvelles institutions comme les BRICS, garantissant que l’Amérique perd le contrôle stratégique de son propre déclin. Le génie de la Grande-Bretagne fut de reconnaître que l’adaptation préserve plus d’influence que la résistance, en acceptant gracieusement le statut de partenaire junior, ils ont maintenu leur pertinence au sein d’un ordre dirigé par les Américains. La résistance de Trump garantit que l’Amérique aura un mot à dire minimal dans l’ordre qui émergera du chaos qu’il crée.

Tout en prétendant restaurer la force américaine, Trump a orchestré un retrait systématique sur tous les fronts importants – militaire, économique, diplomatique et technologique – garantissant que le déclin de l’Amérique se produise non seulement plus rapidement que nécessaire, mais avec moins de contrôle stratégique que toute transition de pouvoir majeure dans l’histoire moderne.

L’ironie historique est stupéfiante : le dirigeant qui a promis de rendre à l’Amérique sa grandeur peut être considéré comme celui qui aura assuré la fin du siècle américain dans les pires conditions possibles.

Arnaud Bertrand

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

songkrah.blogspot.com

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