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√Les sanctions visant le port de Chabahar sont une décision stratégique de la part des Etats-Unis ~ Songkrah


Par M.K. Bhadrakumar – Le 19 septembre 2025 – Source Indian Punchline

Dieu donne et Dieu retire, dit la Bible. L’annonce par le Département d’État américain de réimposer des sanctions sur le projet de port indien de Chabahar en Iran s’inscrit dans cette maxime biblique bien que, d’un point de vue théologique, Job a prononcé ces mots à un moment de grande détresse après avoir subi des pertes dévastatrices, y compris sa richesse et ses enfants, mais ne réalisant pas encore toute l’ampleur de la bataille spirituelle dans laquelle il se trouvait.

Pour l’Inde, le port de Chabahar est « plus qu’un projet d’investissement« , comme l’a écrit le magazine d’information progouvernemental Swarajya. Ce journal de droite explique que :

« Puisqu’il contourne le Pakistan, le port est un point d’accès vital vers l’Afghanistan et l’Asie centrale, et est intégré au Corridor de transport international Nord-Sud atteignant la Russie et l’Europe. L’Inde l’a déjà utilisé pour envoyer de l’aide alimentaire et des fournitures à l’Afghanistan.

Le port joue également un rôle dans la concurrence entre l’Inde et la Chine. Chabahar se trouve à peine à 140 km de Gwadar, le port pakistanais développé par Pékin. Un accès limité au port réduira la capacité de l’Inde à contrebalancer l’influence chinoise dans la région de la mer d’Oman…

En révoquant l’exemption maintenant, les États-Unis ont laissé l’Inde face à la tâche difficile de protéger son enjeu financier tout en gérant ses relations avec Washington, Téhéran et d’autres partenaires régionaux »

Cependant, ce qui est en jeu ici alors que Trump 2.0 s’est rétracté de la décision Trump 1.0 de novembre 2018 d’accorder une dérogation aux sanctions pour les opérations indiennes dans le port stratégique iranien de Chabahar est un changement fondamental. Bien que Washington qualifie cela de stratégie de « pression maximale » envers l’Iran, le fait est que Trump 2.0 a adopté une position ouvertement hostile de « sanctions secondaires » envers l’Inde

Peut-être que la centralité de l’Afghanistan dans la stratégie régionale des États-Unis a diminué par rapport à 2018. Ce n’est plus un État vassal, qui était en soins intensifs et avait besoin d’accéder au marché mondial. Ironiquement, les commandants du Pentagone ont discrètement promu l’idée que l’Inde maintienne un lien de communication avec l’Afghanistan via Chabahar et ont même promu un forum de consultation trilatéral entre l’Iran, l’Afghanistan et l’Inde.

Aujourd’hui, au contraire, la matrice a radicalement changé – les États-Unis ont été expulsés d’Afghanistan et se tournent vers eux-mêmes ; Delhi a des relations avec les talibans et, plus important encore, a abandonné l’inclinaison pro-américaine de sa politique afghane et a redémarré sa coordination avec Téhéran et Moscou à un moment où les liens Iran-Russie ont pris une connotation stratégique sans précédent ; et il est tout à fait concevable que Chabahar puisse devenir une cheville ouvrière de l’intégration eurasienne de l’Inde.

Très certainement, le port de Chabahar sera un point clé de l’ordre du jour de la prochaine visite du conseiller à la sécurité nationale iranien Ali Larijani (l’éminence grise de la politique iranienne) à Delhi. Larijani, un homme d’État astucieux, a récemment été reçu par le président russe Vladimir Poutine au Kremlin ; de même que son homologue indien Ajit Doval. Les indices d’un condominium Russie-Iran-Inde ?

Dans le contexte du récent méga-accord Russo-chinois pour un gazoduc (baptisé Power of Siberia-2), les observateurs régionaux ont prêté attention aux ramifications de la stratégie énergétique de la Russie nommée « Regardez vers l’Est » et visualisé un futur réseau de gazoducs d’États régionaux qui relierait le vaste marché indien via l’Asie centrale et l’Iran. En effet, cela peut être un événement formidable en géo-stratégie ; un réseau reliant la superpuissance énergétique mondiale aux deux plus grands marchés de l’énergie qui donnera du tonus au siècle asiatique et réécrira l’algorithme de la politique mondiale.

Un article récent sur ce sujet par le Center for Strategic and International Studies à Washington DC, daté du 5 septembre, est intitulé « Comment l’accord Power of Siberia 2 pourrait remodeler l’énergie mondiale« .

À son niveau le plus évident, les États-Unis considèrent la Russie comme un rival de ses exportations d’énergie vers le marché asiatique. Un rapport CRS du Congrès américain intitulé « Power of Siberia 2: Another Russia-China Pipeline«  dit « Cependant, si la Chine augmentait son approvisionnement en gaz naturel par pipeline, elle pourrait limiter d’autres contrats de GNL [avec les compagnies pétrolières américaines.] Alors que la Chine représente environ 4% du total des exportations américaines de GNL, PS – 2 [Power of Siberia-2] pourrait renforcer la position de négociation de la Chine avec les fournisseurs de GNL, y compris les fournisseurs américains, y compris les États-Unis. Avec un approvisionnement régulier en gaz naturel par pipeline en provenance de Russie, il pourrait être difficile pour les fournisseurs américains de négocier des conditions rentables pour des contrats de GNL à long terme. »

Remplacez la Chine par l’Inde et le scénario émergent de la présence russe sur le marché énergétique asiatique en plein essor devient extrêmement déconcertant pour les stratèges de la Maison Blanche qui espéraient fermement ancrer l’Inde dans les écuries américaines. Les stratèges américains estiment que Power of Siberia-2 est un signe que la Russie est en train d’élaborer sa stratégie visant à donner la primauté de son marché de l’énergie à l’Asie-Pacifique tout en tournant le dos aux Européens qui ont historiquement été le pilier des exportations énergétiques de la Russie depuis l’ère soviétique dans les années 1970.

Power of Siberia-2 est le dernier rire de Poutine, car il transportera dans un premier temps 50 milliards de mètres cubes par an, de la péninsule russe de Yamal au nord de la Chine en passant par l’est de la Mongolie, qui étaient des gisements de gaz initialement destinés à alimenter le gazoduc Nord Stream 2 vers l’Europe, mais qui ont été détruits par l’administration Biden en 2022 lors d’une opération secrète avec des agents ukrainiens pour perturber l’axe stratégique de la Russie avec l’Allemagne et faire de l’Union européenne un consommateur de GNL américain.

Qu’il suffise de dire que l’on estime que Big Oil a réalisé un bénéfice exceptionnel de plus de 300 milliards de dollars en vendant du gaz sur le marché européen, pendant les 3 ans successifs à la guerre en Ukraine, à un prix trois fois supérieur à celui auquel il a été vendu aux consommateurs domestiques américains !

Malheureusement, les stratèges indiens se comportent comme des mangeurs de lotus. Avec la suppression de la levée des sanctions de 2018 sur le projet indien Chabahar, l’administration Trump vise à compliquer les relations Indo-iraniennes et à éventuellement entraver les perspectives d’une route terrestre vers le voisinage étendu de l’Inde pour les approvisionnements énergétiques russo-iraniens. Cela devient donc un élément essentiel de la stratégie de Trump pour faire pression sur l’Inde afin qu’elle achète davantage d’énergie américaine.

Inutile de dire que les sanctions américaines contre Chabahar paralyseront la capacité de l’Inde à être une présence efficace en Asie centrale en partenariat avec la Russie et l’Iran. C’est un geste inamical incompatible avec les affirmations pompeuses de Trump d’amitié avec le Premier ministre Modi à un niveau personnel, etc. et, curieusement, cela arrive à un moment où les négociations commerciales américano-indiennes auraient atteint leur dernière ligne droite.

Les Américains ont pris cette décision à peine un mois ou deux après que l’Inde a proposé, lors de la réunion de la Commission économique mixte russo-indienne à Moscou, la conclusion rapide des négociations en cours pour un accord de libre-échange entre l’Inde et l’Union économique eurasienne dirigée par la Russie. Notamment, la visite de Jaishankar à Moscou, fin août, a été considérée comme un moment charnière dans l’autonomie stratégique de l’Inde et son engagement à maintenir des liens solides avec la Russie malgré les pressions extérieures.

Compte tenu du récent pacte de défense saoudo-pakistanais, qui a été noté avec approbation par le Commandement central américain, les sanctions sur le partenariat Inde-Iran ne peuvent être considérées que comme une étape calculée dans une stratégie de confinement visant à bloquer l’accès de l’Inde au vaste arrière-pays eurasien qui pourrait lui fournir une profondeur stratégique et, à la place, l’isoler dans le sous-continent sud-asiatique.

Les États-Unis font une offre déterminée pour retourner en Afghanistan et travaillent en étroite collaboration avec le MI6 pour rétablir leur présence dans le renseignement. Notamment, la révélation dramatique de Trump selon laquelle les États-Unis exigent le contrôle de la base militaire de l’ère soviétique à Bagram a suivi ses entretiens à Londres avec le Premier ministre britannique Keir Stammer.

Qu’il suffise de dire que la véritable histoire des sanctions contre le projet Chabahar de l’Inde est le message issu des événements historiques de Tianjin et de Pékin il y a quinze jours, qui à leur tour ont accéléré une refonte ou un recalibrage politique qui avait sérieusement commencé avec Trump organisant un dîner pour le chef de l’armée pakistanaise, le général Asim Munir, en juin à la Maison Blanche. À propos, Trump rencontrera à nouveau le général Munir la semaine prochaine en marge de l’AG de l’ONU à New York.

Trump a conclu que le Pakistan ne peut apporter que des choses d’une importance cruciale aux États-Unis en Asie occidentale et dans le Grand Moyen-Orient, y compris en Afghanistan. “En tant que tel, l’engagement avec le Pakistan est vu sous un angle différent, où l’alignement des intérêts est plus net qu’il ne l’a été depuis des décennies”, écrit Uzair Younus du Centre de l’Asie du Sud de l’Atlantic Council dans une brillante analyse intitulée « Les États-Unis repensent la dynamique Inde-Pakistan » dans le magazine Diplomat.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

songkrah.blogspot.com

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